En 1982, c’est moins la fibre « militante » que la possibilité de partager avec d’autres homos mon goût pour la chanson française et Offenbach qui m’a fait rejoindre la chorale Chœur Accord, la première chorale « gay » française créée par Jürgen Pletsch (un allemand !). Quand, trois ans plus tard, sous l’impulsion de Francis Carrier Chœur Accord est devenue La Compagnie les Caramels fous, la complicité « homo » des membres de la Compagnie en était assurément le principal ciment, et aussi le plaisir de monter la scène en affirmant notre spécificité auprès d’un public composé essentiellement d’amis, pas nécessairement homosexuels. (Dans les années 80, Les Caramels fous étaient ignorés voire méprisés par le milieu « gay » parisien). C’est sans doute en pensant à ses amis, que dès la première comédie musicale que j’ai écrite pour les Caramels fous, Pas de Banane pour Lady Jane, j’ai banni tous les clichés habituels que l’on colle sur les homosexuels. Pas de «folles perdues», pas de travestis outrancièrement maquillés, très peu de personnages féminins. Cela restera une constante dans la plupart des spectacles que j’ai écrits pour la Compagnie à partir de 1990. Je me suis donc efforcé de fuir, outre les clichés, toute tendance communautariste car, pour moi, les spectacles de la Compagnie bien qu’ouvertement « gay », devaient s’adresser à tous les publics, à commencer par les hétéros. Et sur ce point, je crois avoir réussi, nombre de Caramels, et moi le premier, se sont servis des représentations pour faire leur « coming out » en beauté. Et je n’étais pas peu fier de lire des articles élogieux sur les Caramels fous dans Le Monde, Le Figaro, Le Parisien, Libération ou Le Canard Enchaîné, alors que feu Le Gai-Pied et Têtu n’en parlaient pratiquement pas.
La qualité grandissante de la troupe en raison de son encadrement par des professionnels exigeants, a permis aux Caramels fous de se faire un nom sur la scène parisienne, alors que nous ne donnions qu’une quinzaine de représentations par an. Un nom qu’en 1998, après notre passage à l’Olympia, un producteur m’a proposé garder pour former une troupe composée de comédiens, chanteurs et danseurs professionnels dont je continuerais à écrire des spectacles. J’ai évidemment refusé sansl’ombre d’une hésitation. Certes les membres de la Compagnie, bien que certains ne manquent pas talent, n’ont pas la technique de professionnels, mais ils font preuve sur scène d’un enthousiasme et d’une générosité qu’aucun professionnel, même homosexuel, ne peut égaler. Un enthousiasme, une générosité et cette joie d’être enfin sur scène après deux ans de répétitions laborieuses et néanmoins conviviales... Cette joie aussi et peut-être surtout, d’être là, devant des centaines de spectateurs, avec son identité d’homosexuel assumée. C’est cela Les Caramels fous, une troupe unique en son genre à laquelle je suis heureux et fier d’avoir consacré la plus grande partie de mes loisirs pendant près d’une trentaine d’années.
Voilà déjà dix ans que j’ai tourné la page de cette aventure extraordinaire qui m’a beaucoup apporté humainement et artistiquement. J’espère que cette aventure continuera encore longtemps, certain qu’elle épanouira comme elle m’a épanoui, les « Caramels » d’aujourd’hui et de demain.